Des êtres multicellulaires vieux de 2,1 milliards d'années (28/10/2010)

El Albani A., Bengston S., Canfield D.E., Bekker A., Macchiarelli R., Mazurier A., Hammarlund E.U., Boulvais P., Dupuy J.-J., Fontaine C., Fürsich F.T., Gauthier-Lafaye F., Janvier P., Javaux E., Ossa Ossa F., Pierson-Wickmann A.-C., Riboulleau A., Sardini P., Vachard D., Whitehouse M. and Meunier A., 2010. Large colonial organisms with coordinated growth in oxygenated environments 2.1 Gyr ago. Nature 466: 100-104

On estime que la vie est apparue sur Terre il y a 3,4 milliards d'années, mais elle s'est longtemps cantonnée à des formes unicellulaires. Les Eucaryotes ne seraient apparus qu'un milliard d'années plus tard, et on pensait qu'ils n'auraient formé des organismes pluricellulaires qu'il y a 600 Ma seulement. Or des fossiles datant de 2,1 milliards d'années ont été découverts au Gabon, et selon les chercheurs ils seraient les plus anciennes traces d'êtres multicellulaires; la multicellularité prend un coup de vieux de 1,5 milliard d'années ! Ces fossiles, au nombre de 250, mesurent entre 1 et 12 cm de long pour moins d'1 cm d'épaisseur, et ressemblent à des galettes ou des losanges, aux bords plissés et lobés. Ils sont interprétés comme étant des organismes coloniaux hautement organisés, avec une signalisation de cellule à cellule et des réponses coordonnées. Les analyses géochimiques suggèrent que les sédiments se sont déposés dans une colonne d'eau oxygénée. Le milieu correspond à la zone marine d'un delta, d'environ 20 à 30 mètres de profondeur, calme mais soumise à l'action des marées et des tempêtes.

Les isotopes de carbone et de soufre indiquent que les objets découverts par El Albani et al. sont bien d'origine biologique, et qu'ils ont été pyritisés lors de leur fossilisation. Un nodule de pyrite, formé plus tard, est présent au centre des spécimens les plus grands. Bien que des colonies de cyanobactéries puissent aussi former des structures similaires à ces fossiles, atteignant également des tailles de 15 cm, les auteurs privilégient l'hypothèse d'un organisme eucaryotique pluricellulaire. En effet les structures bactériennes ne sont pas tout à fait organisée de la même manière et sont inconnues dans le registre fossile. De plus, des traces de stérane, signalant une présence eucaryote, ont été détectées dans les roches. Il faudra cependant mener des études approfondies sur ces stéranes, car ils peuvent migrer dans des roches plus anciennes et auraient pu contaminer les échantillons de la faune gabonaise.

Exemplaire d`un fossile du Gabon de 2,1 milliards d`années

Un exemplaire des fossiles découverts au Gabon, et qui a été passé au microtomographe à rayons X; a) photo du fossile, b) rendu du volume en semi-transparence, c) section transverse, d) section longitudinale au milieu du spécimen. Les échelles sont de 5 mm (Figure issue de El Albani et al., 2010)

Les fossiles du Gabon sont plus jeune de 200 Ma que l'augmentation significative du taux d'oxygène dans l'atmosphère (le "Great Oxidation Event") il y a 2,45-2,32 milliards d'années. Cet évènement est dû au fait que l'oxygène, produit par la photosynthèse, n'était plus capté par la matière organique et le fer dissous, qui étaient alors saturés; l'O2 en excès a donc commencé à enrichir l'atmosphère, provoquant un bouleversement environnemental sans précédent. Les êtres multicellulaires sont plus grands que les unicellulaires, mais ils nécessitent en contrepartie des niveaux plus élevés en oxygène pour ceux qui pratiquent la respiration aérobie. Ce serait donc le Great Oxidation Event qui a permis l'apparition des Eucaryotes et de la multicellularité. C'est un événement similaire qui a mené à l'explosion cambrienne il y a 600 Ma. Dans les deux cas, le schéma est le suivant : après une période glaciaire, le climat se réchauffe enfin, le taux d'oxygène présent dans l'atmosphère augmente, et il est suivi de bouleversements écologiques, d'innovations, avant que le taux d'oxygène ne chute à nouveau. Le passage à la multicellularité est une étape importante dans l'évolution de la vie sur notre planète, et on estime qu'il s'est produit plus d'une dizaine de fois, dans des groupes variés. On pense que cette étape a pu arriver aussi souvent car la machinerie moléculaire nécessaire à la coordination cellulaire est un aspect partagé par tous les organismes vivants. Les fossiles découverts au Gabon serait une des premières formes basiques de multicellularité.

Vidéos montrant quelques-uns des fossiles passés au microtomographe; la structure interne est visible en transparence.




Créer un site
Créer un site